Son arrivée à Bordeaux, en 1835, prit bientôt
l’allure d’un retour triomphal. Toute la presse en parla et,
lors de son séjour à Paris, les salons s’arrachèrent alors le général. Le général Allard installa d’abord son épouse et leurs enfants
dans une propriété récemment acquise dans sa ville natale de Saint-Tropez. Il se rendit ensuite à Paris pour régulariser sa situation administrative et préparer son retour dans le Penjab. Il y
fut reçu par les plus hautes autorités civiles et militaires, à commencer par le roi Louis-Philippe et le premier ministre.
Le
« Journal des Débats » de l’époque (nous sommes en octobre 1835) mentionne en des termes enthousiastes le séjour en France du Général Allard : « M Allard est depuis quelques
mois en France, et depuis quelques jours à Paris. Nous avons été assez heureux pour passer une soirée avec lui, et nous nous félicitons d’autant plus que nous sommes en mesure de donner à nos
lecteurs quelques détails sur cet homme vraiment remarquable, et sur le curieux pays où il a transporté, il y a seize ans, notre organisation militaire, le respect de notre nom, notre uniforme et
notre drapeau. ». On voit toute la curiosité admirative que le nom d’Allard suscite en France.
Le
gouvernement français décida alors de le nommer agent de France (ambassadeur) à la cour de Lahore. De retour à Saint-Tropez, le général régularisait son mariage avec Bannou Pan Deï conformément
aux lois françaises, et tous deux reconnaissaient immédiatement leurs cinq enfants, “objets incessants de leur sollicitude” comme le précise l’acte de mariage suivi de la reconnaissance conservé
dans les registres de la mairie de Saint-Tropez.
Alors qu’il
préparait à Paris sa nouvelle mission à Lahore, le général Allard avait fait connaissance de Félix Feuillet de Conches, alors chef du protocole au ministère des affaires étrangères et membre de
la Société asiatique de Paris. Personnage fort érudit et curieux, totalement immergé dans la vie politique et culturelle parisienne, Feuillet de Conches était, entre autre passe-temps, un
passionné des Fables de La Fontaine dont il avait acheté nombre d’exemplaires ouverts (non reliés) de l’édition Didot de 1827. Il avait pris coutume de confier un exemplaire des deux
tomes des Fables à ses amis diplomates partant à l’étranger, orient ou occident, en les priant de bien vouloir les faire illustrer sur place, en emplissant les vides, par un artiste
local. Il reste aujourd’hui de cet étonnant programme une centaine d’illustrations de ces fables faites par 46 artistes européens (français, anglais, allemands, belges, suisses, italiens, et un
américain), alors qu’en 1862 sa collection orientale comprenait 62 aquarelles signées de Che Tien, un artiste de Pékin, mais aussi 20 aquarelles anonymes de Canton, 20 dessins provenant des Indes
néerlandaises, d’autres illustrations venant de Perse, d’Egypte, d’Ethiopie, du Japon. Et, fleuron de cette collection orientale, 59 miniatures réalisées par Imam Bakhsh Lahori, un artiste du
Penjab, sous la direction des généraux Allard, puis peut-être Ventura.
Il est ainsi amusant de voir que les fables de la Fontaine, dont une
partie est d’inspiration indienne (voir notre article sur La Fontaine), vont ainsi être illustrées par un artiste indien, choisi par le Général Allard.
Le général
Allard joignit à ses bagages les deux volumes des Fables de La Fontaine, à côté de la lettre du roi de France adressée au Maharaja du Penjab. Il ne lui restait plus, sitôt arrivé à
Lahore, qu’à les confier à un artiste penjabi. Il n’eut pour cela pas grandes recherches à faire. Les généraux français et italiens au service du royaume sikh du Penjab s’étaient presque dès leur
arrivée à Lahore, et, bien avant parfois, depuis son séjour en Perse en ce qui concerne Claude-Auguste Court, passionnés pour l’histoire et l’archéologie, les moeurs et les coutumes des pays dans
lesquels ils avaient vécu ou voyagé.
A Paris Allard
rencontrera à deux reprises le Comte Rodolphe Apponyi ce jeune aristocrate austro-hongrois, attaché d’ambassade à Paris, qui participe à la vie mondaine de la capitale et qui laissera un récit
précis de sa vie parisienne (« 1826-1850, 25 ans à Paris »).
Le 18 novembre
1835 et le comte écrit à propos d’Allard : « J’ai vu dernièrement chez lady Granville le général Allard ; je l’avais déjà vu et rencontré plusieurs fois sans avoir pu lui parler.
Il aurait une assez belle figure s’il n’était obligé de se conformer à un usage du pays de Lahore qui exige, pour un homme de son rang, une barbe très bizarrement arrangée, à moitié noire, à
moitié blanche. Il a beaucoup d’esprit naturel et une grande facilité pour toutes choses. »
Le même comte le
16 mai 1836 :
« J’ai rencontré ce soir, chez M Thiers,
le général Allard. Il va retourner bientôt à Lahore par Rio de Janeiro, le Cap, l’Ile Bourbon, Calcutta et Delhi, pour rejoindre Ranjit Singh ».
Le comte nous apprend que Allard est venu en France avec le fils adoptif de Ranjit Singh, Sed Poor. Il précise : « Le jeune Seed Poor reste en France sous le nom d’Achille Allard. Son
éducation est a été confiée par le gouvernement français à M. Blanqui aîné, directeur de l’école spéciale de commerce. Le Général Allard retourne à Lahore avec e titre et les fonctions de chargé d’affaires du roi des Français auprès de Runjeet Singh. Il emporte avec lui une riche provision d’armes de toutes espèces, des
sabres, des cuirasses, des fusils et un parc d’artillerie en miniature. ». Dans tous les documents que nous avons consultés, c’est le seul qui mentionne cette histoire du fils adoptif du roi
de Lahore qui restera en France.
A SUIVRE