Normalement nous n’évoquons dans ce blog que les sujets ayant un rapport avec l’Inde ; mais nous ferons quelques exceptions pour un banquier qui s’exprime parfois sur des sujets
purement bancaire ou financier; le scandale indien de Satyam a peut-être inspiré ces lignes même si ce scandale est différent de ceux qui sont évoqués ici.
Le monde de la finance a été secoué
par deux affaires dont on a abondamment parlé : le trader fou de la Société Générale, Jérôme Kerviel, et le financier américain Bernard Madoff. Le premier sera à l’origine d’une perte de 5
Mds d’euros pour la SG et le second devra expliquer où sont passés quelques 50 Mds de dollars de placements qui lui avaient été confiés, même si on a déjà largement compris ce qui s’était
passé.
Ces deux affaires ont plusieurs
points communs ; des montants considérables en jeu, des agissements qui n’ont pas éveillé l’attention pendant des années, un scandale énorme dans les deux cas, la faillite des autorités de
régulation etc… On aimerait d'ailleurs que nos
juristes créent le concept de crimes économiques, à l'instar des crimes contre l'humanité.
On a parlé de fraude dans les deux
cas et le dictionnaire nous dit qu’une fraude est une tromperie, une action entreprise pour contourner les lois. Et fraude est souvent synonyme d'enrichissement personnel. Mais pour moi, ces
deux scandales sont bien différents des affaires dans lesquels les « coupables » cherchent à détourner à leur profit des sommes considérables.
Dans le premier cas on a beaucoup
écrit sur le passé de ce trader qui était complexé de n’être pas sorti d’une grande école et qui a commencé sa carrière dans les back-offices, loin de la noblesse et du prestige du monde des
traders qu’il finira cependant par rejoindre. J Kerviel voulait sa revanche sociale. Il a du se battre pour gagner cette place et d’un caractère renfermé, il échafaude ses théories, ses
hypothèses ; en effet il veut prouver rapidement qu’il peut gagner de l’argent, et plus que les autres. Le pire est que pendant plusieurs mois, ses prévisions, ses hypothèses sont avérées.
Il outrepasse les règles prudentielles pour pouvoir miser plus gros et sait rendre ses transactions invisibles. Si bien que pendant plusieurs mois, on arrive à une situation extraordinaire où il gagne de l’argent avec de vraies transactions, des spéculations certes mais de vraies transactions. Ayant outrepassé les
limites auxquelles il est astreint, il est donc obligé de dissimuler ces opérations et y parvient. Mais le plus étonnant n’est pas qu’il ait su rendre ces opérations invisibles et non
détectables, mais bien qu’il ait réussi à gagner de l’argent. La conséquence en est qu’il devient de plus en plus sûr de sa capacité à prévoir l’avenir (sur les marchés) et prend de plus en plus
de risque ! Jusqu’au moment où le marché évolue de manière différente, voire contraire, à ses prévisions. Désormais il ne dissimule plus des profits (lesquels auront atteint plus d’un
milliard d‘euros en 2007), mais des pertes.
J Kerviel voulait-il
s’enrichir ? Voulait-il virer une somme importante sur un compte au Bahamas, prendre l’avion et quitter le pays ? Je n’en crois rien. Il voulait prouver aux autres qu’il était meilleur,
le meilleur et était prêt à tout pour cela. Voilà l’origine, la cause de cette « fraude ».
L’affaire Madoff est différente mais
tout aussi intéressante.
Voilà un éminent financier, ancien
Président du Nasdaq, qui a créé sa société de gestion d’actifs et qui fait ce que toutes les sociétés de gestion d’actifs font : investir l’argent de tiers dans des placements et
investissements en vue d’assurer un bon rendement à ces investisseurs.
Là encore, le profil de l’homme est
intéressant. Fils d’une famille juive du Queens, B Madoff crée sa première société en 1960 et joue le rôle d’intermédiaire entre acheteurs et vendeurs d’actions. Puis, une fois bien établi et
reconnu, il crée son fonds d’investissement spéculatif.
Nul ne peut avoir le moindre doute
sur ses capacités ou sur son intégrité. Il est connu, il a fait ses preuves. Sa vie est classique et il a le sens de la famille ; ses deux fils travaillent à ses côtés. B Madoff est un
notable respecté de la finance.
Là où il est génial c’est qu’il
choisit minutieusement les clients de son fonds spéculatif ; il refuse certains clients et il faut l’apprivoiser pour se faire accepter comme client ! Tout le monde sait que son fonds
est très bien géré et que les rendements versés sont parmi les meilleurs, toujours parmi les meilleurs ! Certains investisseurs font des pieds et des mains pour que B Madoff accepte de
recevoir leur fonds. Nous sommes là en plein génie ! Et B Madoff sert toujours de beaux rendements, cela se sait, et les demandes de nouveaux clients affluent.
Jusqu’au moment où la crise
financière prend tout le monde par surprise et certains clients de Madoff se retrouvant à court de liquidités veulent récupérer une partie des fonds investis. Et là bien sûr, cela devient
rapidement intenable, impossible !
Mais pense-t-on un instant que cet
homme de 70 ans, solidement établi, universellement reconnu dans son pays et dans son environnement professionnel, familialement épanoui, ait pu imaginer prendre l’argent dans la caisse et
s’enfuir ?
Il y a toujours une explication au
comportement des hommes, aussi difficile soit-elle à trouver et à admettre.
B Madoff s’était construit sa recette
de réussite, son success-model. Il avait tout ce qu’un homme peut rêver d’avoir ! Alors que voulait-il ? Simplement continuer à être cet homme respecté et envié de tous. Il savait bien
sûr que son système était fragile et que cela le mènerait fatalement derrière les barreaux. Mais il ne pouvait plus arrêter la machine infernale qu’il avait construite et la seule chose à faire
était d’espérer que son dénouement soit le plus tardif possible et, pendant le temps de cet espoir, profiter de la situation présente. B Madoff n’a pas voulu voler l’argent de ses clients, il l’a
juste emprunté pour s’acheter une parfaite honorabilité et respectabilité. Mais bien entendu, cet argent a disparu dans la tourmente… Malheureusement les derniers éléments de l'enquête montrent que Madoff n'est pas si clair que
cela et que Madoff a probablement détourné ou tenté de détourner des fonds à son profit ou à celui de ses proches.
Ces deux histoires, ces deux hommes nous laissent finalement pantois, sans voix. Pour nous ce sont des malades
et comment en vouloir aux malades ! Sans doute faut-il être quand même très malade pour déployer tant d’artifices et tant de génie, tromper autant de monde, en autant de temps ? On le
voit bien, dans ces sommets de déviations qui donnent le vertige, il n’y a plus de place pour les escrocs ancienne école, ceux qui ne cherchent qu’à filer avec la caisse ; au moins ceux-ci
sont faciles à comprendre, et au moins ne sont-ils pas malades. Mais ces escrocs ordinaires n’ont pas l’étoffe ni le génie pour réaliser des fraudes aussi importantes dans le complexe univers
qu’est devenu la finance.
Mais tout compte fait (sans jeu de mots), on en vient presque à regretter les maîtres-escrocs, les
escrocs-artistes, ceux qui surpassaient, en son temps, tous les autres.
Ce fut le cas du fameux faussaire Bojarski qui finit par se faire prendre dans les années 60. L’homme
fabriquait, ou plutôt gravait de la fausse monnaie et sa production était presque identique aux originaux ! Sa dernière grande œuvre fut la contrefaçon du 100 nouveaux francs Bonaparte qui
ne comportait que 3 minuscules erreurs de recopiage ! Fait unique, la Banque de France accepta de rembourser aux porteurs de
bonne foi ses contrefaçons quasi indécelables. Bojarski dut apprécier cet hommage rendu à son talent. On peut d’ailleurs ajouter qu’un des faux billets Bonaparte signé Bojarski a récemment été
adjugé aux enchères à plus de 5000 € ; comme quoi, le produit d’une escroquerie peut parfois prendre de la valeur (la valeur actualisée de 100 F de 1964 – le fameux Bonaparte- est de 116 €,
ce qui fait que c’est comme si le porteur de ce faux billet revendu plus de 5000 € récemment avait reçu un rendement de 9% par an pendant 44 ans).
Oui, nous l’avouons, dans cet univers
fou, virtuel et dématérialisé qu’est devenu le monde de la finance, les faussaires d’antan, servant une rente de 9% par an pendant 44 ans ont presque notre sympathie, et la grande dose
d’indulgence que mérite leur talent artistique.
Et en plus, ils ne sont pas
malades !